Le 9 octobre dernier, Recep Tayyip Erdogan, Président de la Turquie, lançait une offensive dans le nord-est de la Syrie, contrôlé par les kurdes.
J'étais présente lors de la soirée en soutien aux kurdes, organisée par Jean-Christophe Lagarde, mardi 15 octobre au théâtre du gymnase, aux côtés d’Esther Benbassa, d’Eric Coquerel, de Bruno Retailleau, de Rémi Féraud et de nombreux autres parlementaires de tous partis politiques.
Nous savons tous que les Kurdes de Syrie ont été en première ligne dans la guerre menée contre Daesh. Devant la progression foudroyante des forces du califat autoproclamé en 2014, les combattants kurdes se sont révélés les seuls à pouvoir les stopper et les faire reculer, avec l’appui de la Coalition menée par les Etats-Unis, à laquelle la France a activement participé.
Dans un conflit de ce type – qui nous concerne directement, comme nous l’avons tragiquement vécu – il faut savoir choisir ses alliés. Au-delà de l’efficacité opérationnelle précieuse de ses combattants, les valeurs qui animent les FDS sont les plus proches des nôtres et les plus propices à favoriser la construction d’un futur désirable pour les populations syriennes. Il s’agit d’une politique laïque, fondée sur des principes démocratique et sociaux, égalité des sexes, écologisme qui se concrétise dans sa constitution qui « rejette le nationalisme et prône une société égalitaire, paritaire, respectueuse des droits des minorités ».
Les FDS ont coupé les voies d’accès à travers la frontière turco-syrienne au territoire contrôlé par Daesh, voies qui permettaient, avec la complicité plus ou moins active des services turcs, aux candidats au djihad de rejoindre ce territoire et par lesquelles transitaient également armement et contrebande. Ils ont reconquis, au prix de milliers de morts et de blessés, les espaces occupés par Daesh où l’horreur s’exerçait quotidiennement sur les populations et où ont été planifiés les différents attentats, dont ceux du 13 novembre 2015 qui ont endeuillé notre pays. Ce sont les Kurdes qui ont mené l’essentiel des opérations à Kobané, Deir-ez-Zor, Raqqa…
Pourtant, il était prévisible que les Kurdes finiraient par être trahis, une fois Daesh défait. Aucune des principales forces en présence – Iraniens, Russes, Turcs, ainsi que Bachar el-Assad – n’avait intérêt à voir perdurer une expérience telle que celle du Rojava.
Un premier acte est effectué quand il est permis à la Turquie d’attaquer le canton d’Afrine en 2018, à la suite de quoi les supplétifs islamistes armés et contrôlés par Ankara opèrent une violente purification ethnique contre les Kurdes.
La trahison s’effectue ensuite brusquement en octobre dernier quand Donald Trump autorise Recep Tayyip Erdogan à attaquer massivement le Rojava, alors même que les combats contre les forces affaiblies de Daesh ne sont pas achevés, forçant les FDS à combattre sur deux fronts et mettant en péril la garde des prisonniers. Les FDS pour se protéger de la menace d’anéantissement par l’armée turque et ses supplétifs islamistes n’auront d’autre choix que négocier en position de faiblesse la protection inquiétante du régime syrien.
L’histoire permettra peut-être de comprendre les raisons de la décision désastreuse et scandaleuse de Donald Trump, qui n’a conduit qu’à renforcer Bachar el-Assad et Recep Tayyip Erdogan, à décrédibiliser la Coalition ainsi qu’à affaiblir les capacités de lutte contre les restes de Daesh, qui demeure une menace redoutable.
Il faut tirer en profondeur les leçons de cette tragédie, qui est à juste titre comparée à l’abandon des Tchèques face à Hitler en 1938 et qui restera comme une tache indélébile sur notre conscience. L’Europe a, une fois de plus, été incapable d’agir collectivement sur ce sujet, au-delà de mesures symboliques dérisoires. La France n’a pas, au-delà de paroles vigoureuses, posé des actes suffisamment forts pour peser sur le sujet. Les contradictions de l’OTAN sont apparues au grand jour posant la question du sens de l’existence de cette alliance conçue pour faire pièce à l’URSS du temps de la guerre froide. Il est plus que temps de considérer que ces questions sont pour nous existentielles et de construire des architectures adaptées au nouveau contexte mondial.
Il faut également tout mettre en œuvre pour protéger ce qui peut encore l’être au Kurdistan syrien et ne pas abandonner nos sœurs et frères d’armes, quel qu’en soit le prix : pour eux, pour nous.